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Usages de faux par Gabrielle Wittkop

mardi 13 novembre 2018

Vient de paraître aux éditions Verticales Usages de faux de Gabrielle Wittkop (1920-2002).

Du beau monde
Ce recueil regroupe vingt pastiches, dans l’ordre : Voltaire, Pétrone, Jean de La Fontaine, D. A. F. de Sade, Alain Robbe-Grillet, Ambrose Bierce, Gustave Flaubert, Marcel Proust, Alfred Jarry, Victor Hugo, Marcel Schwob, Lewis Caroll, Edmond et Jules de Goncourt, E. T. A. Hoffmann, Pierre Choderlos de Laclos, Jan Potocki, Jean Genet, Aloysius Bertrand, Giacomo Casanova, G. W.

Ces auteurs ont en commun le goût de la provocation, dans leur style ou dans les idées qu’ils défendent. Et ces auteurs, Gabrielle Wittkop les connaît intimement. Elle a ainsi publié, une biographie d’Hoffmann. Le narrateur de son roman Le Nécrophile mentionne Pétrone et les frères Goncourt. Et comme l’écrit le préfacier Jean-Baptiste del Amo, La Marchande d’enfants de Wittkop répond aux Liaisons dangereuses de Laclos. On le voit, elle les connaît et comme elle l’indique dans l’avant-propos de son recueil, elle les admire et souhaite leur rendre hommage.

Et ce qui rassure — et appâte — l’amateur de pastiches que je suis, c’est cet avertissement de l’auteur à ses lecteurs sur l’utilisation de mots ou d’expressions désuètes (elle donne quelques exemples) qu’elle déclare volontaire et estime nécessaire pour restituer le style des auteurs pastichés. Pour résumer, connaissance, hommage, et technique : c’est prometteur.

Parlons technique
J’ai commencé ma lecture par le pastiche de Jean de La Fontaine. Les auteurs de pastiches pensent en effet, et à tort, que le fabuliste est facile à pasticher. Nous en avons déjà parlé sur ce site, Héléna Marienské et Xavier Garnerin, excellents pasticheurs au demeurant, ont négligé la prosodie de La Fontaine. Ici, bonne surprise, Gabrielle Wittkop respecte au mieux une prosodie classique. S’il fallait néanmoins reprocher quelque chose, signalons le vers 30 « Ignorez-vous encore qu’il parle de notre âge » pour lequel La Fontaine aurait certainement utilisé la graphie encor pour assurer les douze syllabes de l’alexandrin [1].

C’est avec le même sérieux et la même application que l’auteur se fond dans le style et la musique des écrivains qu’elle pastiche. Elle nous livre ainsi de très bons pastiches, pointus, souvent drôles (Voltaire et Jarry, par exemple). Et même si elle s’attaque à des écrivains qui ne publiaient pas en français et pour lesquels le filtre du traducteur peut interférer, elle le fait en connaissance de cause (certains traducteurs sont cités en note) et elle maîtrise la langue de Goethe (sa biographie d’Hoffmann a été écrite en allemand) et celle de Shakespeare (elle ponctue son pastiche d’Ambrose Bierce de poèmes en anglais).

Au-delà, d’un savoir-faire certain, l’intérêt des pastiches de Gabrielle Wittkop réside aussi dans sa capacité à distiller dans les mots des auteurs qu’elle pastiche des éléments de son propre univers.

L’univers de Gabrielle Wittkop
Comme le signale Jean-Baptiste Del Amo, nous retrouvons dans ces pastiches l’univers de Gabrielle Wittkop : harpie, prostituée, nécrophile... Et ce n’est pas le moindre des intérêts de ce recueil que de nous faire découvrir, par le prisme d’écrivains qu’elle admire, le propre univers de l’écrivain. Et son humour !

Prenons un seul exemple pour illustrer la facétieuse Wittkop. Dans son pastiche de Voltaire, nous pouvons lire : « Un jour, on retrouva mon amant au fond d’une gorge profonde, à demi mangé par les vautours ». Le double sens de gorge profonde est particulièrement potache surtout lorsqu’il intervient dans un texte au style plutôt tenu.

Comme Proust l’avait fait avec le procès d’un escroc et Héléna Marienské avec un fait divers (une fellation non consentie), il est intéressant de lire la même histoire avec le prisme de plusieurs auteurs. Gabrielle Wittkop réussit cet exercice avec l’histoire de Zanetta grâce à la voix de Marcel Schwob puis celle de Giacomo Casanova.

Enfin, le dernier texte, un pastiche de G.W., comme les initiales de l’auteur, serait un pastiche de Gabrielle Wittkop, sous la forme d’une entrée bonus dans le journal de Lucien, le narrateur du Nécrophile.

Autopastiche ?
On peut considérer les dix-neuf premiers textes du recueil comme des pastiches car, on l’a dit, l’auteur a instillé son propre univers dans celui d’autres auteurs. Mais ce dernier texte est-il vraiment un pastiche ? Peut-on alors parler d’autopastiche ?

Dans cet exercice délicat, Paul Verlaine excelle avec son poème « À la manière de Paul Verlaine » dans Parallèlement (1889). Parce qu’il concentre le maximum de marqueurs de son style et de son œuvre : rythme impair, sonorités, titre de ses œuvres intégrés, répétions, etc. Il les concentre tant que cela en devient parodique, et il réussit par-là le tour de force de s’autopasticher. En revanche, dans le texte de Gabrielle Wittkop, on ne lit pas cette concentration, cette accumulation de marqueurs stylistiques. Il apparaît vraiment comme des « pages du journal de Lucien N., perdues puis retrouvées ».

On retrouve les personnages féminins de Suzanne et de Gabrielle qui ont marqué le narrateur. Les quelques mots pour nous les présenter n’auraient sans doute pas été nécessaires si ce texte avait été intégré au roman. Cette rencontre avec un autre nécrophile n’aurait pas détoné puisqu’il y en a d’autres. Néanmoins, même s’il est abusif de parler de pastiche, ce texte clôt parfaitement le recueil et permet d’atteindre l’objectif de cette publication : promouvoir l’œuvre de Gabrielle Wittkop.

Pour finir : une porte d’entrée
Plutôt qu’un recueil de pastiches de référence, il faut voir en ce recueil une formidable porte d’entrée vers l’œuvre de Gabrielle Wittkop. Nous n’avons pas non plus affaire à des fonds de tiroir, à une compilation de pastiches que l’auteur aurait écrits lors de son apprentissage de l’écriture. Non, ces pastiches sont l’œuvre d’un écrivain accompli, qui possède sa propre voix, son propre univers et qui souhaite, en jouant avec les écrivains qui comptent pour lui, partager avec humour son amour de la littérature et de la provocation.

Si ce recueil permet d’éveiller la curiosité des lecteurs comme moi qui ne connaissent pas encore l’œuvre de Gabrielle Wittkop et leur donne l’envie de découvrir Le Nécrophile, Sérinissime assassinat, La Marchande d’enfants... c’est que le pari est gagné.

FG

Gabrielle Wittkop, Usages de faux, Verticales, 17 euros, 176 pages.

Voir en ligne : Usages de faux, sur le site des éditions Verticales

Notes

[1] On m’informe qu’il s’agit d’une erreur lors de la saisie informatique du poème. Ce sera très certainement corrigé dans les prochaines éditions avec la graphie encor.

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